Capitaliser sur l’agonie de ses artistes, le plan “solidaire” de La Louvière


Le contexte - En quelques mots

En Mai 2020, La Louvière s’était engagée à effectuer un recensement des artistes sur la commune, histoire de savoir combien nous étions, quelle est notre situation, mais surtout, comment nous étions impactés par la crise Covid. 

En Février 2021, force est de constater que rien n’a (encore) été fait. 

Cependant, lors du dernier conseil communal en Janvier 2021, l’ex-échevine de la culture évoque des bourses de 2500€ destinées aux artistes. La nouvelle fait plaisir, je me renseigne pour en savoir plus…

 

Et c’est le drame.

Un fond de soutien qui s'apparente à du travail spéculatif

Voici donc les termes dans lesquels ces bourses sont présentées sur la page facebook de La Louvière :

Nous sommes nombreux à tiquer, ça ressemble à un concours.
Evidement, je vais immédiatement sur le site pour en savoir plus : 

Et afin que vous ayez TOUTES les informations disponibles ce jour là (au cas où elles auraient été modifiées quand vous les lirez), je vous joins le formulaire et le règlement en PDF que j’ai téléchargé le 5 Février 2021. 

Il va sans dire qu’à la lecture du règlement, j’ai vu rouge, et j’ai donc décidé de faire une vidéo expliquant, de manière claire, en quoi ce “fond de soutien” est, finalement, une insulte au secteur artistique. 

CAPITALISER SUR L'AGONIE DE SES ARTISTES, LE PLAN "SOLIDAIRE" DE LA LOUVIÈRE (FRENCH, NO SUBTITLES)

La vidéo est relayée, elle sera vue plus de 200 fois sur Odysee, les commentaires affluent et vont dans le même sens : cette bourse arrive au pire moment, et la population artistique ne vit pas cela comme une aide. 

Les médias d'information s'en mèlent

A ma grande surprise, je suis contactée par Antenne Centre pour passer dans leur journal en direct du Jeudi 11 Février 2021. Je vous avoue ne pas être particulièrement partante, surtout quand on m’annonce que Mr Wimlot (le nouvel échevin de la Culture) sera en direct avec moi. 

D’une part parce qu’il vient de reprendre le poste, et n’est donc pas au courant du passif des artistes Louviérois avec l’ex-échevine Leslie Leoni, ni de l’ensemble des projets qu’elle a lancé (dont celui ci).
D’autre part parce que je sais que sa présence va couper mon temps de parole par 10, et que je ne pourrais pas évoquer les choses qui me tenaient à coeur. 

Et évidemment, ça n’a pas loupé. Mais bon, au moins, j’ose espérer que cela aura attisé la curiosité de certains Louvièrois au sujet de ma vidéo et de l’ensemble du problème. 

Samedi 13 Février 2021, c’est le journal la DH qui s’en mêle, et publie un article sur le sujet (avec un clin d’oeil évident à mon coup de gueule). 
Copie de l’article ici

De mon côté, j’ai bien noté l’addresse mail donnée lors de mon passage à l’antenne. 
La voici d’ailleurs, n’hésitez pas à envoyer vos observations et commentaire : planderelanceartistes@lalouviere.be
Et voici ce que j’ai envoyé ce 13 Février.

Bonjour,

Je suis Coline Clerbois, mon nom d’artiste est Obsydienn (comme la pierre).
J’envoie ce mail suite à l’invitation de Mr Wimlot sur la chaine Antenne Centre à vous faire part de nos avis par mail.

J’ai déjà réalisé une vidéo ( https://odysee.com/@Obsydienn:4/On-en-a-gros:1 ), sur le vif, de ce qui posait problème par rapport à votre fond de soutien, je vous invite à la (re)voir si vous en avez le temps.

Je vais de toute manière reprendre, par écrit, les points qui posent problème de manière détaillée, du moins grave au plus préoccupant.

1- Les dates
Pour une publication officielle, il est très dérangeant de voir que les dates ne correspondent pas. Sur l’image de la publication Facebook officielle, la date de remise des projets est annoncée au 28 Février, elle est ensuite annoncée au 8 Mars dans le texte et sur le site de la ville.
La date de remise des “résultats” de la délibération du jury est annoncée une première fois au 30 Mars, et une deuxième fois au 15 Mars.
Uniformiser une fois pour toute les dates serait déjà de bon ton pour un projet “officiel”.

2- Le montant de “l’aide”/”la bourse”/”le fond de soutien”
Plus d’une fois il est évoqué un montant dit “maximum” ou “plafonné”. Cela sous tend que le montant alloué peut être inférieur à ces 2500€ promis. Si ce n’est pas le cas, il serait bien de le préciser.

 

3- Le vocabulaire
Quand on fait un appel à projet, ou une bourse, il est très mal venu de parler de “fond de soutien” ou “d’aides financières”. Les deux sont complètement différents, et ne servent pas les mêmes buts.
Si votre but est réellement d’apporter une aide, un soutien, aux artistes Louviérois, alors arrêtez immédiatement ce projet de bourse, et réinvestissez les fonds engagés dans une aide réelle. Comme par exemple ce cadastre promis depuis presque un an maintenant, et attendu tant par les artistes que par de nombreuses institutions culturelles et non culturelles (dont, notamment… Antenne Centre).

4- Les conditions de soumission du projet
Outre le fait qu’il faut lire le règlement en entier pour pouvoir prétendre proposer un projet valable (ce que tout le monde ne fait pas), les demandes sont très précises et vont d’office exclure de nombreux courants artistiques. Les métiers intermittents comme les techniciens sont d’ailleurs d’office exclus de cette bourse, d’autres courants ne pourront pas répondre aux multiples critères demandé. Surtout que certains semblent sortis de nulle part (puisqu’ils ne sont JAMAIS mentionné/expliqué au préalable). Et même si ils ne sont pas repris comme points essentiels du projet, ils apparaissent dans les critères d’évaluation et passent donc de “facultatif” à “obligatoire”, quoique vous puissiez en dire.
Par exemple : La qualité du partenariat avec une structure locale, l’implication des publics, des populations dans le processus de création, de diffusion et de production, ou encore l’intégration dans le projet artistique des enjeux sociétaux, particulièrement mis à mal par la crise sanitaire.
Cela apparaît comme sorti de nulle part, n’est expliqué nulle part, et c’est d’autant plus grave qu’il s’agit de critères d’évaluation. Cela demande soit de gros éclaircissements, soit d’être retiré des critères de soumission de projet, et des critère d’évaluation du jury.
Ajoutons à cela la nécessité de proposer un échéancier et un budget, et l’obligation de prouver les dépenses une fois la bourse accordée, et on obtient un dossier d’une complexité inimaginable pour beaucoup d’artistes. Je n’hésite d’ailleurs pas à réitérer les termes de ma vidéo : ces demandes sont abusives, et le projet est difficile voir impossible d’accès pour beaucoup d’artistes.

5- La bourse
C’est, encore une fois, très choquant. On parle d’aider les artistes, mais on propose une bourse dont on va devoir justifier la dépense. Où est l’aide dans ce cas ?
Concrètement, de quoi ont besoin les artistes en ce moment ?
Ils ont besoin de manger, de payer leurs factures, de payer leur loyer, et enfin, de payer les outils liés à leur activité pour pouvoir la maintenir.
Ils n’ont pas besoin d’une bourse qu’ils ne pourront pas utiliser pour assurer leur survie.
De nombreux bénévoles à Bruxelles l’ont bien compris, et se relayent pour fournir de la nourriture aux acteurs du secteur culturel (Feed the culture). Aucune autre ville n’a eu cette initiative, à croire qu’il n’y a qu’à Bruxelles qu’on a conscience de l’état catastrophique de ces acteurs culturels.
Je rappelle également que les outils annexes aux activités artistiques sont rarement gratuits. Mais comme vous n’êtes pas dans le secteur et que vous bénéficiez de prix compétitifs pour certains de ces outils de par votre statut communal, je vais faire un bref rappel de quelques-uns ces coûts pour les artistes freelance (ne bénéficiant donc pas de réductions liées à une entreprise, une commune ou une école) :
Suite Adobe Creative Cloud : 60.49€ par mois
3DS Max : 205$ par mois
Cinema 4D : 100€ par mois
ZBrush : 33€ par mois
etc, etc, ce ne sont que quelques exemples du domaine graphisme et 3D, je ne parle même pas des domaines musicaux et audiovisuels qui voguent dans les mêmes prix.
Bien sur, il existe des logiciels moins chers voir gratuits (Krita, Blender, Clip Studio Paint, Gimp etc), mais la majorité des entreprises demandent des formats de livraison de fichier avec ces programmes professionnels payants.
Ne parlons même pas des coûts annexes : matériel informatique, tablette graphique, matériel de travail traditionnel, instruments, sonorisation d’une pièce, matériel d’enregistrement etc etc. Ce sont des matériaux soumis à l’usure et qui peuvent soit devenir défectueux, soit être trop usés pour être utilisés.
Bref, être artiste à un coût. Et ce coût fait partie de notre survie.

6- L’aspect concours.
Oui oui, j’ai bien entendu que “ce n’était pas un concours !” et que “le terme Jury allait être remplacé”.
Mais histoire d’utiliser les BONS termes, je vais parler non pas de concours, mais de travail spéculatif. Qu’est ce que c’est ? Le travail spéculatif est le fait d’espérer gagner un contrat ou un prix en produisant ses idées gratuitement pour un prospect, un client, une société etc.
Donc, produire un projet remplissant toutes les conditions de votre fond de soutien, sachant que seuls quelques “élus” seront sélectionnés, et sachant que ce projet va prendre du temps et ne pourra pas être réutilisé ailleurs, c’est littéralement du travail spéculatif. Tout ça pour espérer gagner 2500€, montant qui, dans beaucoup de cas, ne couvrira même pas le temps de travail réel du projet.
Et donc oui, l’appel à projet de la province répond lui aussi aux conditions de travail spéculatif, et j’aurais réagi de la même manière si je n’avais pas appris son existence trop tard.

7- Le formulaire
On touche un autre énorme problème.
Nulle part dans votre formulaire vous ne demandez de fournir la preuve de l’activité artistique de l’artiste (ou du collectif). Une simple présentation ne suffit pas, n’importe qui peut se présenter comme artiste (n’est-ce pas même l’argument phare de tous les partis qui freinent des deux pieds pour le statut d’artiste, ou pour des aides covid exceptionnelles ?).
Je le redis, de petites organisation gratuites demandent plus de preuves pour participer à leurs événements virtuels (gratuits eux aussi) qu’une commune pour une bourse de 2500€. N’y a t’il pas un gros souci ?
Encore une fois, comment allez-vous vous assurer que votre bourse va bien aider un artiste en difficulté, et pas un.e comptable qui peint/dessine/chante/etc comme hobby ? Si il touche toujours son temps plein CDI et n’a jamais utilisé son hobby comme source de revenu, en quoi cette bourse va l’aider ? Contrairement aux techniciens qui n’ont plus de travail depuis la suppression de tous les événements, concerts etc ? Contrairement aux musiciens qui n’ont plus que leurs droits d’auteurs comme revenus car privés de représentations payantes ? Etc etc.
Si encore le cadastre avait été réalisé, en effet, il n’y aurait pas eu le moindre problème à ne pas demander de preuves X ou Y dans votre formulaire. Mais voilà, en l’absence de cadastre, vous ne proposez aucune vérification du statut réel de celui ou ceux qui proposeront un projet pour votre bourse.


Enfin, je vais retaper sur le clou :

Pourquoi propose-t-on constamment des “appels à projet”, des “concours” et autres joyeuseté aux artistes, alors qu’on ne proposerai JAMAIS cela aux autres corps de métier ? Pourquoi, si cet appel à projet est si intéressant pour les artistes, ne proposez-vous pas la même chose aux restaurateurs, aux patrons de bar, aux coiffeurs, aux esthéticien.nes, aux tatoueurs, etc ?
Si vous ne pouvez pas proposer votre “fond de soutien” dans les mêmes conditions à un autre secteur de métier, ne le proposez pas aux artistes. Le seul message que vous nous transmettez, c’est à quel point vous ne nous prenez pas au sérieux.

Nos diplômes sont équivalents aux diplômes universitaires (Bachelier et Master). Mais on nous “case” (parfois de force, parfois par désespoir) dans des domaines d’activité ou seul un CESS est suffisant (privant du coup les chômeurs sans diplôme de travail).
Vous avez déjà vu un étudiant diplômé en droit travailler au Brico ? Pas moi.

Avez-vous déjà songé a ce qui se passerait si les artistes, les créateurs, les intermittents culturels et techniciens se mettaient mondialement en grève pendant une semaine, en bloquant toutes nos cessions de droits et copyright (ce qui est utopique, mais je me permet de rêver quelques secondes) ?
Imaginez un instant passer une semaine sans télévision, sans site de streaming (netflix, prime vidéo etc), sans musique, sans radio, sans magazine, sans journal, sans théâtre, sans concert, sans jeu en ligne. Pas de dessin animé pour vos enfants, la plupart des sites et réseaux sociaux seraient à l’arrêt, voir fermés, pas de journal parlé, les sites d’information seraient bloqués, les sites comme Youtube devraient fermer temporairement. Pas de musique en ligne via Deezer, Spotify, Youtube Music etc. Plus de possibilité d’acheter de livres, de BD, pas même en ligne ou au format ebook, encore moins en livres à écouter.
Toutes les productions de films, de séries, de jeux vidéos seraient retardées.
Impossible de télécharger ou d’acheter de nouvelles applications sur tablette/téléphone, ou de nouveaux programmes pour PC ou Mac, toutes les applications et tous les programmes sous abonnement seraient bloqués durant cette semaine.

Mais à part cela, nous ne sommes pas essentiels. 

Juste après l’envoi de ce mail, je découvre avec plaisir le nouveau numéro de Misèrrre, l’actu satirique et grinçante de la région du centre (je vous invite vivement à lire et vous abonner si vous êtes de la région !!!). Et surtout de leur version satirique de l’affaire, qui me fait hurler de rire. 


Ca fait du bien, de rire. 

Lundi 15 Février, réponse à mon mail

Une réponse très brève, mais on a la certitude que l’adresse mail fonctionne : 

Bonjour,

Nous avons bien reçu votre e-mail.

Nous avons créé cette adresse mail afin de récolter les commentaires constructifs et d’adapter le fonctionnement de l’appel à vos besoins.

Les modifications feront l’objet d’une communication sur les différents supports sur lesquels figure l’appel.

Nous vous remercions pour votre investissement.

 

Laurent Wimlot, échevin de la Culture

 

Leslie Leoni, Présidente de Central 

Clôturé

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